mercredi 17 décembre 2014

"Santiago" de Mike Resnick, ou, le faux pavé qui m'a réconcilié avec les space-cowboys.

Aussi loin que mon souvenir le permet, mes diverses pérégrinations m'ayant traîné entre les différents clans nerdistes, deux grandes écoles s'étaient toujours vaguement distinguées dans la catégorie des rats de bibliothèques alternatives: les fans de Science-Fiction, et ceux d'Heroic Fantasy (pour faire simple, hein. 'Venez pas me reprendre sur tous les soit-disant sous-genres et les déclinaisons, vous savez aussi bien que moi que ça n'a aucune valeur réelle).
Il me semblait assister à une confrontation de tout instant, entre l'épée bâtarde et le sabre laser, entre Aragorn et Kinkaha. Et bien que certains auteurs, rares et omnipotents magnats selon moi, se soient depuis longtemps affranchis de ces féodalités basiques (dois-je une fois de plus insister sur le potentiel imaginatif quasi-infini de Mme Leguin?); j'avais moi même choisi mon camp. A tort, bien entendu.
Il faut bien l'admettre, la narration ultra-traduite et remâchée platement de K.Dick ou de Farmer m'a souvent arraché plus d'un bâillement. En revanche, je me plaisais à croire que l'écriture symbolique et lyrique de la Fantasy savait vibrer bien plus intensément une fois conjuguée dans la langue de Molière. Je pourrai palabrer une fois de plus sur le cas de Damasio pour étayer ce propos, mais je m'y suis déjà étendu sur un article entier (et puis, Damasio a également pondu pas mal de SF).

Il serait de toute manière bien futile de s'égarer plus avant dans ce genre d'impasse.
Frappante est l'évidence: la jeune pousse que je suis s'est plantée ("plantée", oui, vous saurez apprécier l'acrobatie subtile du jeu de mot), et cela dans les grandes lignes.

Un bienheureux hasard m'a fait tomber cet ouvrage, déjà vieux d'une vingtaine d'années; et qui, aux premiers abords, n'a pourtant pas vraiment attisé mon intérêt. Je me souviens avoir parcouru la quatrième de couverture d'un œil distrait.
"Une histoire de chasseurs de primes? Boarf. Le bon vieux coup de la galaxie administrée sous l'égide d'un empire anthropomorphe? Mouais, déjà vu...."
J'ai cependant entamé ma lecture, reniant tant bien que mal l'encombrant poids de mes -ô combien- nombreux a priori.

Nous faisons ainsi connaissance de notre principal protagoniste dans la tiédeur enfumée d'un bar squatté par une flopée d'aliens, de cyborgs, et j'en passe. Sebastien Cain, ancien révolutionnaire reconverti en chasseur de scalps endurci, y sirote sa spatio-bière à la recherche de la moindre information sur sa cible actuelle, et non pas la moindre: Santiago.

Santiago, c'est un peu le graal de cette charmante communauté de pisteurs du cosmos. Passé outre le flot de ragots qui abondent aux quatre coins de la galaxie sur les prétendus exploits de ce mystérieux criminel, c'est un flou opaque qui entoure sa légende. Personne ne semble avoir d'information concrète sur son identité, ses origines, ou encore ses objectifs. Et si ce n'est pas le challenge de taille qui lance la plupart des chasseurs de primes à sa poursuite, la somme astronomique placée sur sa tête semble en motiver d'avantages.

C'est donc à travers cet univers digne d'un bon vieux western que nous suivons Cain, alias "Oiseau chanteur" durant son enquête auprès d'une bande de fous-furieux accrocs de la gâchette tous plus délicieusement clichés les uns que les autres. Et si cette ambiance, résolument "Borderlands" n'a pas mis très longtemps à m'arracher quelques sourires, il ne s'agissait aucunement de condescendance de ma part. Admettons-le sans mauvaise foi: Finalement, on se prend vite au jeu.

Cerise sur le gâteau, l'intrigue résolument téléphonée se trouve soutenue par les interventions lyriques d'un personnage pour le coup original à souhait: Orphée Noir. Cet étrange chroniqueur saura à chaque début de chapitre vous introduire avec verve et paillardise les nouveaux protagonistes de cnotre étrange odyssée. Il s'agit là de mon coup de cœur personnel. Rares sont en effet les auteurs qui - non contents de tisser une histoire- s'acharnent à enrichir un univers entier de ce genre de petits détails qui font beaucoup pour l'immersion du lecteur.

Santiago n'est sans doute pas le pavé que vous lirez plusieurs fois dans votre vie. Les amateurs du genre pourraient entamer un long débat sur sa nature -ou non- de classique de la SF. Je considère pour ma part cet ouvrage avec la même affection amusée que l'on a pour ces films de série B, ces fausses-parodies jouissives que l'on savoure accompagnées d'un pétard et d'un verre de rouge.
Mais après tout, passé outre les sempiternels conflits sur la définition bancale d'une soi disant "qualité littéraire", n'est ce pas l'histoire en elle même, et sa capacité à mobiliser notre imaginaire, qui importe le plus?
Si tel est en effet le cas, je me permettrai simplement d'ajouter que sur ce point, nos auteurs actuels on beaucoup à apprendre de Resnick, votre dévouée plante la première.